Une page web pour le système majeur de mémorisation des nombres

Cher lecteur, si tu connais déjà tout sur le système majeur, tu peux sauter directement à la solution. Pour les autres, vous apprendrez quelque chose en lisant l’article en entier ! Et pour les plus impatients, la page web est là : https://jytou.fr/majeur/?n=15

Pour la plupart des gens, mémoriser des grands nombres est un défi qui s’arrête très vite. À grand peine, on arrive avec le temps à mémoriser des grands nombres par la répétition, année après année, comme le numéro de sécurité sociale ou les numéros de téléphone, qu’on arrive généralement à mémoriser seulement le jour où on en change.

Le système majeur

Et pourtant, nous avons à notre disposition des méthodes qui permettent de mémoriser des grands nombres, dont une très populaire qui fonctionne par associations de sons : le système majeur, parfois aussi appelé « Grand Système » en français. Nous devrions tous apprendre cette méthode à l’école ! Cette méthode peut être utilisée dans beaucoup de langues avec quelques modifications basiques. Et pourtant, quel pourcentage de la population connaît cette méthode ? Combien l’utilisent vraiment ? Le pourcentage doit se compter sur les doigts d’une main.

Pour résumer, il s’agit juste de trouver des mots dont les consonnes prononcées correspondent aux chiffres à retenir. Par exemple, pour le chiffre « 0 » on cherchera un mot avec un son « s » ou un « z », pour un chiffre « 1 » on aura un « t » ou un « d », etc.

Voilà le tableau des correspondances généralement utilisées pour la langue française :

Nombre

Lettre

Associations visuelles

0 s, z Le chiffre 0, zéro, produit un son sifflant.
1 t, d Un seul trait vertical
2 n Deux traits verticaux
3 m Trois traits verticaux
4 r La lettre r se retrouve dans quatre en français, four en anglais, vier en allemand, etc.
5 l La lettre L ressemble au chiffre romain L (50)
6 j, ch, sh La lettre j manuscrite ressemble à un 6 inversé
7 k, c, g La lettre K ressemble à deux 7 accolés. G est phonétiquement proche de k.
8 f, v, ph Deux lettres f ressemblent à un 8. V est phonétiquement proche de f et de ph.
9 p, b La lettre P ressemble à un 9 inversé. P et b sont phonétiquement proches.

Bien évidemment, il ne s’agit que de conventions et comme l’apprentissage est très personnel, chacun peut faire des choix différents quant aux correspondances. En revanche, chaque changement nécessite de se poser de nombreuses questions : en choisissant telle correspondance, ne vais-je pas me retrouver dans des situations difficiles parce que je n’avais pas prévu que telle lettre n’est pas très présente dans la langue, par exemple ? Dans tous les cas, chaque changement doit être mûrement réfléchi et résister à l’épreuve de la pratique.

Une fois les conventions adoptées, il s’agit de les tester avec des cas concrets et des chiffres à retenir. L’un des défis est de trouver rapidement des mots correspondant aux chiffres puis de les assembler en une suite de mots qui veut dire quelque chose, même si c’est un peu loufoque. D’ailleurs, plus c’est loufoque, plus ce sera facile à retenir. Nous mémorisons ce qui fait appel à l’émotion et à l’imagination. Si c’est trop « plat », on oublie tout de suite.

Tables apprises par cœur

Pour gagner du temps, une technique courante consiste à mémoriser des mots déjà tout prêts pour des combinaisons de deux chiffres, comme 10=tasse, etc. Voici un exemple d’un tel tableau, qu’on appelle « table de rappel » :

 0
s, z
1
t, d
2
n
3
m
4
r
5
l
6
j, ch
7
k, g
8
f, v
9
p, b
0
s, z
0
as
10
tasse
20
nasse
30
masse
40
race
50
lasso
60
chasse
70
casse
80
face
90
passe
1
t, d
1
tas
11
tata
21
natte
31
maths
41
rate
51
latte
61
château
71
cata
81
fête
91
patte
2
n
2
nez
12
tanin
22
nana
32
manne
42
reine
52
laine
62
chaîne
72
canne
82
fan
92
panne
3
m
3
mât
13
tamis
23
nem
33
maman
43
rame
53
lame
63
chameau
73
came
83
femme
93
pomme
4
r
4
rat
14
tare
24
nerf
34
mare
44
rare
54
lard
64
char
74
car
84
phare
94
part
5
l
5
la
15
talus
25
nylon
35
mâle
45
râle
55
lolo
65
châle
75
cale
85
fil
95
pelle
6
j, ch
6
chat
16
tache
26
niche
36
machin
46
ruche
56
lâche
66
chéchia
76
cache
86
facho
96
pacha
7
k, g
7
cas
17
taquin
27
nuque
37
mac
47
rack
57
laque
67
chèque
77
caca
87
fac
97
pack
8
f, v
8
feu
18
tif
28
nef
38
mafia
48
raffut
58
louve
68
chef
78
café
88
fief
98
pif
9
p, b
9
pas
19
tape
29
nappe
39
myope
49
râpe
59
lapin
69
chapeau
79
cape
89
fip
99
papa

Certains vont même jusqu’à mémoriser 3 chiffres, soit 1000 mots à associer aux 1000 premiers nombres. Bien sûr, c’est très utile pour ceux qui en font un grand usage comme les champions des concours de mémorisation. En revanche, pour les autres, c’est beaucoup de sport cérébral qui finalement risque de ne pas servir à grand-chose, à part peut-être pour briller occasionnellement en société. De manière générale, le tableau ci-dessus suffit pour un usage occasionnel. Pour ma part, je préfère mémoriser trois mots au lieu d’un pour chaque paire de chiffres : un nom, un adjectif et un verbe. Cela permet de faire des phrases qui se retiennent beaucoup plus facilement. L’inconvénient est une petite perte de temps à choisir le mot pour chaque paire afin de former une phrase.

Voyons comment ça se passe dans la pratique avec un exemple.

Défis

Tentons de mémoriser 15807020 avec la table présentée au-dessus :

15807020
talusfacecassenasse

Avec ces mots, on peut facilement faire une phrase qui utilise tous ces mots dans l’ordre, en se rappelant que seuls les noms, adjectifs et verbes sont importants et que le reste compte pour du beurre : « Un talus en face, tu casses ta nasse ». Pour retrouver le nombre, il suffit de se rappeler de cette phrase puis reprendre les noms et les codes de chaque lettre. C’est une technique simple, mais il reste encore à mémoriser cette phrase, ce qui n’est pas toujours évident. Surtout que, dans certains cas, c’est beaucoup moins évident de faire une phrase avec : chameau, lame, panne, mâle. Pas de verbe, pas d’adjectif. Un bon petit casse-tête.

Aller plus loin

Dans le cas d’une mémorisation rapide, il est préférable d’utiliser une table comme celle qui vient d’être présentée. En revanche, pour des mémorisations où on a tout notre temps pour élaborer une technique, il est préférable d’optimiser un peu. Plutôt que d’utiliser des « mots tout prêts », on va chercher des mots plus longs, une phrase facile à retenir et qui fait sens plutôt que des mots imposés.

L’un des défis avec ce système est de trouver rapidement des mots « mémorables » et qui se combinent bien pour une certaine combinaison de chiffres. Or, lorsqu’on se retrouve face à 15807020, il n’est pas toujours évident de trouver des mots assez longs pour rivaliser avec la simple mémorisation des mots à 2 chiffres. Sans entraînement, on peut y passer beaucoup de temps. Et même avec de l’entraînement, la combinaison que l’on trouve est souvent loin d’être optimale.

Parfois, il peut aussi être intéressant de former une suite de mots directement à partir du nombre à mémoriser avec des mots de taille variable. Par exemple, pour mémoriser 15807020, on pourrait se rappeler de suite de mots suivante :

Télé visqueuse et niaise
tele visk ø z e njɛ z
1 5 8 07 0 2 0

Facile de se faire une image mentale de cette phrase, il suffit d’avoir un peu d’humour.

Sans aucun doute, il est plus facile de mémoriser moins de mots choisis dans le vocabulaire courant plutôt qu’une grille fixe. Par ailleurs, leur longueur n’a aucune importance car, dans la tête, un mot est une entité mémorisable directement quelle que soit sa longueur, comme on l’a fait plus haut avec la télé visqueuse et niaise.

Il existe déjà un excellent logiciel nommé 2know qui permet de trouver tous les mots correspondant à une suite de chiffres donnée. Malheureusement, je trouve cette application un peu trop limitée car on ne peut chercher qu’un seul mot à la fois. Il faut alors tester toutes les combinaisons pour trouver des mots adéquats. Par ailleurs, ce logiciel ne fonctionne que sous Windows, même s’il est utilisable sous linux et wine, c’est loin d’être idéal.

La solution

Par conséquent, j’ai développé une page internet qui permet de donner toutes les combinaisons de mots qui peuvent se rapporter à une suite de chiffres. L’avantage est que l’on ne dépend pas de la plateforme, elle peut être visitée et utilisée à partir de n’importe quel terminal informatique pour peu qu’il dispose d’un navigateur.

Lorsqu’on lui présente un nombre, elle calcule toutes les possibilités de mots qui peuvent être trouvés avec la suite de chiffres en question. Ainsi, elle affiche les possibilités dans un tableau. Les mots les plus longs sont placés en haut du tableau puisque ce sont eux qu’on va choisir préférentiellement, chaque ligne est ensuite complétée avec les mots plus petits. On peut ainsi voir les possibilités intéressantes de combinaisons de mots. Par ailleurs, la page affiche également les mots par type grammatical, car il peut être pratique d’enchaîner un nom, un adjectif, un verbe puis finalement un nom pour former une phrase syntaxiquement correcte.

Il suffit de naviguer là pour voir comment cela fonctionne : https://jytou.fr/majeur/?n=15807020

On retrouve facilement la télé visqueuse et niaise, mais on peut également inventer d’autres combinaisons très rapidement.

Quelques petits réglages peuvent être paramétrés comme le style plutôt noir sur fond blanc ou l’inverse et le tri des mots. La page reste très simple et épurée de toute distraction.

Et après ?

À l’origine, je visais un peu plus compliqué. J’envisageais que la page fasse également des suggestions de phrases, en utilisant des règles simples permettant de prendre des mots à la suite ayant de fortes chances de faire des phrases correctes. On peut imaginer par exemple : interjection, article/démonstratif…, nom, adjectif, verbe, nom, adjectif. Et ainsi de suite. Pour l’instant, la page telle qu’elle est me suffit – le rasoir d’Okham a encore frappé ! N’hésite pas à commenter si la page plus élaborée t’intéresse et si celle-ci te sert déjà à quelque chose !

Pour les techniciens…

Pour ceux qui se posent la question du développement de cette page, j’ai récupéré le dictionnaire du français avec classification grammaticale et phonétique ici : https://github.com/WhiteFangs/lexique.sql

Ce lexique est issu du projet suivant : http://www.lexique.org/

Il contient 150.000 mots, du pain bénit ! J’ai fait un petit peu de ménage dans la classification et gardé seulement le strict nécessaire dans la table SQL, c’est-à-dire l’orthographe, la phonétique, la correspondance en système majeur, la classification grammaticale ainsi que le masculin/pluriel et la fréquence du mot pour afficher les mots les plus courants en premier. En effet, il est d’autant plus facile de mémoriser un mot dans une suite qu’il est utilisé couramment.

Ensuite, il m’a fallu faire un petit programme java pour calculer et stocker en base de données la correspondance entre prononciation et équivalent en système majeur.

Enfin, une page en PHP permet de faire la recherche des mots qui correspondent au nombre recherché et les affiche dans un tableau, simple comme bonjour !